La nuit du 4 août ou la naissance d'une Nation
L’idée d’Yves Chaumette (article ci-dessous) de prendre l’Abolition des privilèges comme date de naissance de la nouvelle Nation française, lorsqu’elle met fin à mille ans de droits féodaux pour élaborer une nouvelle Déclaration des droits (qui sera adoptée le 26 août 1789) est fort intéressante car la Première république en date du 22 septembre 1792 donne la carte du Ciel du régime républicain de la France plus que celle de la Nation proprement dite.
Ainsi, à l’image des Etats-Unis d’Amérique qui ont la Déclaration d’Indépendance comme carte du Ciel de la Nation et la Constitution proprement dite comme carte du régime politique qui la régit, nous aurions deux modes d’étude et d’observation complémentaires pour la France.
Pourquoi cette date ?
Mais pourquoi choisir cette date pour la Nation, plutôt que la prise de la Bastille du 14 juillet, ou celle de la Déclaration des droits enfin terminée ? Yves Chaumette en a eu l’intuition et il faut dire que l’histoire lui donne raison à travers Michelet notamment.
Selon Michelet (Histoire de la Révolution française 1, vol 1 – Folio histoire, chapitre 4 : Nuit du 4 août, pages 204 à 217), l’Assemblée qui s’était donnée le qualificatif de « nationale » dès juin 1789, et qui de fait travaillait à la nouvelle Déclaration des droits (qui deviendra une fois terminée, le 26 août : la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen) , s’était réunie le 4 août pour en débattre, sachant que les travaux étaient préparés en amont dans différents clubs comme le « club breton ». Le contexte est dramatique, des révoltés paysannes se développent dans tout le pays contre les seigneurs et sont durement réprimées. Dans une sorte d’élan de générosité collective, saisis par l’esprit révolutionnaire qui enfiévrait l’Assemblée, les nobles viennent à la tribune les uns après les autres sacrifier leurs droits féodaux qui, de toutes les façons, étaient en train de les abandonner. Leur parole est reprise et applaudie par les autres membres de l’Assemblée et le peuple :
« L’attendrissement, l’exaltation, étaient montés, de proche en proche à un point extraordinaire. Ce n’était dans toute l’Assemblée qu’applaudissements, félicitations, expression de bienveillance mutuelle. Les étrangers présents à la séance étaient muets d’étonnement ; pour la première fois ils avaient vu la France, toute sa richesse de cœur… Ce que des siècles d’efforts n’avaient pas faits chez eux, elle venait de le faire en peu d’heures par le désintéressement et le sacrifice…. L’argent, l’orgueil immolé, toutes les vielles insolences héréditaires, l’antiquité, la tradition même…. Le monstrueux chêne féodal abattu d’un coup […]. »[1]
C’est bien l’avènement de la France et des Français, mais quelle heure choisir ?
Michelet dans ce texte nous donne deux précieuses indications d’horaire : 8 heures du soir, le 4 août pour le moment où les débats ont basculé :
« C’était le 4 août, à 8 heures du soir, heure solennelle où la féodalité, au bout d’un règne de mille ans, abdique, abjure, se maudit ».[2]
Plus loin, Michelet nous donne les indications sur l’heure de la fin des débats et conclut, en résonnance avec cette nuit et avec l’esprit de la France et de son peuple qui s’y est exprimé[3] :
« La nuit était avancée, il était deux heures. Elle emportait cette nuit, l’immense et pénible songe des mille ans du moyen âge. L’aube, qui commença bientôt, était celle de la liberté. Depuis cette merveilleuse nuit, plus de classes, des Français ; plus de provinces, une France ! Vive la France ! ».
Ainsi ce texte nous donne la date de naissance des Français en tant que « nation une » (débarrassée des barrières de classe) et de la France en tant que pays uni (débarrassée des privilèges des provinces.
Il ne reste qu’à décider quelle heure il convient de prendre ? 20 heures, le 4 août, comme date de bascule entre le monde féodal d’avant, et le nouveau droit qui allait régir la France et les Français, ou alors 2 heures le 5 août, à la fin de la séance. Yves Chaumette propose 20H50 pour plusieurs raisons qu’il explique dans son article.
Nuit du 4 août 1789 dans l’ Assemblée nationale française. Abandon de tous les privilèges féodaux. Musée de la Révolution française – Vizille.- Par Charles Monnet / Isidore Helman (graveur) — musée de la Révolution française, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=64894926
Différence avec les Etats-Unis d’Amérique
Enfin, Michelet dans ce même texte nous donne une indication précieuse pour faire un parallèle avec les Etats-Unis d’Amérique qui s’étaient déjà, à cette date, dotés d’une Déclaration d’Indépendance (4 juillet 1776) et d’une Constitution (17 septembre 1787) :
« Il ne s’agissait pas, comme en Amérique, d’aller chercher d’Etat en Etat, les principes que chacun d’eux reconnaissait, et de résumer, généraliser, et d’en construire a posteriori la formule totale qu’accepterait la fédération. Il s’agissait de donner d’en haut, en vertu d’une autorité souveraine, impériale, pontificale, le credo du nouvel âge».[4]
Le credo du nouvel âge
Comme je le développe dans mon ouvrage, La Destinée de la France, la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen accouchée dans cette nuit du 4 aout, est le véritable « Credo du nouvel âge », dont les « trois Idées sœurs Liberté, Egalité, Fraternité » sont, selon Sri Aurobindo, les fondements de la nouvelle religion de l’humanité, celle du nouvel âge du Verseau :
« Le but de la religion de l’humanité s’est formulé au XVIIIe siècle par une sorte d’intuition fondamentale ; ce but était, et est encore, de recréer la société humaine à l’image de trois idées-sœurs : Liberté, Egalité, Fraternité. Aucune n’a réellement été conquise en dépit de tout le progrès accompli. […] Cet échec tient au fait que l’idée d’humanité, en notre âge intellectuel, a du masquer son véritable caractère de religion, de mouvement de l’âme et de l’esprit, et s’adresser à la mentalité vitale et physique de l’homme au lieu de faire appel à son être intérieur. »[5]
Voilà tracé l’ouvrage qu’il nous reste à faire !
NOTES
[1] Michelet, op. cit. p. 215.
[2] Ibid. p. 212.
[3] Ibid. p. 216,217.
[4] Ibid. p. 204.
[5] Sri Aurobindo et l’Avenir de la Révolution française, Buchet Chastel, 1989, 1996, pages 125 et 126.
Le 18/12/2020